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L’inspiration d’Emeraude … extrait.

16 Juin

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— Cet après-midi, 16 heures !

La voix de Paul Peyriac est sans concession à l’autre bout du fil. Ce n’est pas une invitation, c’est un ordre qu’il m’adresse. Ai-je le choix ? Je ne le pense pas.

— Très bien, j’y serai.

Il prend acte de ma réponse sans un mot de plus que nécessaire. Je raccroche, songeuse et vaguement inquiète. Jamais Paul ne m’a ainsi « convoquée » depuis le temps que nous nous connaissons.

« Émi, je tiens à vous parler de votre dernier manuscrit. » m’a-t-il dit.

À son ton sévère, j’ai su que quelque chose n’allait pas. Mon projet n’est pourtant pas tellement différent des précédents.

Que peut-il bien lui reprocher ?

Décidément, ma journée ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Déjà, Stéphane a appelé ce matin pour me prévenir qu’il rentrerait tard. Voilà ce que c’est de vivre avec un banquier, et surtout, un banquier qui a, depuis quelques semaines, une nouvelle collègue qui laisse inopportunément quelques cheveux blonds sur sa veste.

Bien sûr, il semblerait que je doive compatir entièrement à sa surcharge de travail. Et c’est précisément ce que j’ai fait, tout à l’heure, en le plaignant de faire des heures supplémentaires. Ce n’est pas que je sois hypocrite, mais lâche, sûrement. Je joue les aveugles pour ne pas affronter la vérité. Je sais à quoi ça nous conduirait. Je sais aussi la part de responsabilité que j’ai dans cette affaire. Je relève le nez vers mon reflet dans le miroir et je m’interroge en silence tout en faisant un rapide bilan.

Trois ans maintenant… c’est avec lui que tout a commencé, la vie à deux, mon premier roman, puis la Société et les autres histoires que Paul Peyriac m’a suggéré d’imaginer pour le plaisir des membres. C’est comme si c’était hier.

Mais voilà !

J’en ai passé des nuits blanches à écrire, j’ai sans doute négligé Stéphane. Je serais donc bien gonflée de lui reprocher d’être allé voir ailleurs de temps en temps. Je me demande juste pourquoi il est resté. Cette fois-ci est plus sérieuse, les heures supplémentaires s’accumulent et les mensonges sont plus fréquents.

Au fond, a-t-il tort ?

Mon double dans la glace semble aussi dubitatif que moi.

Qu’ai-je fait pour empêcher tout ça ?

Je ne ressemble plus à rien. Je vis en caleçon du matin au soir et du soir au matin. Je n’ai pas touché au mascara depuis des lustres au point que je me demande s’il n’est pas périmé. Je détache mes cheveux enroulés sur mon crâne. Ma tignasse rousse n’est plus qu’une crinière hirsute que je ne sais dompter qu’en la contenant dans un chignon mal fait.

Je dois réagir et très rapidement. Une visite chez Bertrand s’impose.

J’abandonne donc là mon constat attristant et je compose le numéro du coiffeur.

— Bonjour, Bertrand. C’est Emmanuelle Travel.

— Bonjour, Émi ! Je suppose que si vous m’appelez, c’est qu’il y a urgence, répond-il d’une voix où pointent des accents tout aussi sévères que ceux de mon éditeur quelques minutes auparavant.

— Comment savez-vous ça ? je ricane pour donner le change alors que je craignais de me faire houspiller.

— Vous faites partie de cette catégorie de clientes qui ne passent ma porte que guidées par le désespoir. Quand voulez-vous venir ?

— Maintenant, évidemment !

— Évidemment ! ronchonne-t-il.

Je n’ai pas besoin d’insister, il pousse un soupir et m’annonce qu’il m’attend avant de me raccrocher au nez. Dès lors, il devient impensable de le faire patienter outre mesure. J’ai déjà beaucoup de chance qu’il soit disponible. Je me débarrasse de mon caleçon comme s’il me brûlait la peau et je saute dans le premier jean venu. Comme piquée par un insecte, j’enfile une paire de bottes, j’attrape mon manteau et je dégringole l’escalier. Mon appartement étant situé au premier étage, je gagne plus de temps à emprunter les marches que l’ascenseur. Moins de 20 minutes plus tard, je franchis le seuil du salon de coiffure comme on passe la ligne d’arrivée d’un 100 mètres. Un juron derrière moi me fait sursauter.

— Comment avez-vous osé sortir comme ça ? s’époumone Bertrand en envoyant voler une mèche de mes cheveux d’un geste furibond.

— En courant très vite !

Mon humour le laisse de marbre. Il empoigne mon bras et m’entraîne vers un cabinet privatif pendant que ses employées persécutent d’autres clientes. Il m’accorde à peine le temps de me défaire de mon manteau et me gratifie d’une ignoble blouse noire. Il me fait ostensiblement la gueule. Je dois plaider coupable.

— Je sais que j’ai été négligente.

Il m’assassine du regard et, dans un silence obstiné qui ne lui est pas coutumier, il s’active à préparer une mixture dont il a le secret.

— Négligente ? réagit-il en grognant. Vous maniez l’euphémisme avec facilité vous, l’écrivain !

Il badigeonne mon crâne sans ménagement. Je préfère me taire. Heureusement pour moi, ses gestes de professionnel lui ramènent très vite sa bonne humeur. S’il me gronde, c’est plus gentiment.

— Je me tue à la tâche pour vous… et voilà toute la récompense de mon travail !

— Je vous promets de faire un peu plus d’efforts à l’avenir, dis-je pour finir de l’amadouer.

— Un peu plus ? Vous riez, chère demoiselle ? Il va me falloir des heures pour vous rendre seulement acceptable et vous, vous consentez à « un peu plus d’efforts » ?

— D’accord, beaucoup plus d’efforts ! je cède en souriant devant mon air idiot avec cette pommade jaunâtre sur la tête.

Bertrand débarrasse ses pots, règle la minuterie et s’installe à côté de moi en m’apportant un café.

— Dites-moi tout ! Quand sortez-vous votre prochain roman ? demande-t-il en entamant l’interrogatoire dont il est toujours friand et qui lui permet d’être au courant des derniers potins.

— Aucune idée ! J’ai rendez-vous avec Paul Peyriac cet après-midi à ce sujet.

— Ah ! Voilà pourquoi vous arrivez ici en catastrophe, devine-t-il en affectant une moue évocatrice. Eh bien, c’était moins une ! Il vaut mieux en effet que vous n’alliez pas chez Monsieur Peyriac dans cet état. Il préfère de loin les femmes élégantes et soignées. D’ailleurs, il ne se passe pas un mois sans que sa petite-fille vienne ici.

— Mina ?

Bertrand hoche la tête en sirotant son café, le petit doigt en l’air et l’oreille aux aguets, bien déterminé à compléter ses informations personnelles.

— Depuis qu’elle a épousé Philippe, il me semble avoir compris qu’elle travaille désormais avec Paul, c’est cela ?

— Vous ne vous trompez pas, je lui confirme sans trahir un secret. Paul a décidé d’occuper sa retraite à développer une branche annexe aux éditions Peyriac sous le nom des « Éditions de la Nuit Bleue ». Mina est son associée.

— Vous êtes drôlement au courant.

— Vous oubliez que ce sont mes éditeurs.

— Racontez-moi donc comment vous avez fait, ça me passionne, réclame-t-il avec une mine gourmande qui m’amuse.

J’avale mon café et je consens volontiers à évoquer ce que, d’ordinaire, je garde précieusement sous silence. Avec Bertrand, ce n’est pas pareil, il comprend, lui.

— J’ai envoyé un de mes manuscrits aux éditions Peyriac en sachant fort bien qu’il n’entrait pas dans les critères des ouvrages qu’ils publient. J’ai tenté ça comme un coup de poker sans réel espoir que ça fonctionne. D’ailleurs, au bout de six mois sans aucune nouvelle, j’ai cru qu’ils l’avaient purement et simplement jeté à la poubelle sans prendre soin de me répondre.

— Et ? insiste Bertrand en se régalant de mes confidences.

— Un beau jour, j’ai reçu un appel de Mina. Elle me donnait rendez-vous pour discuter de mon manuscrit. J’ai foncé. Et c’est à cette occasion que j’ai rencontré Paul Peyriac pour la première fois. Il était tellement impressionnant que j’ai manqué de faire demi-tour.

Bertrand acquiesce, partageant visiblement mon avis sur le personnage.

— Heureusement, Mina était là, charmante. Elle m’a mise à l’aise même si elle avait l’air tout aussi déterminé que Paul. À deux, ils m’ont expliqué qu’ils avaient lu mon manuscrit avec attention, mais qu’il ne correspondait pas à la ligne éditoriale. Ça, je m’y attendais et je commençais à m’interroger sur le fait qu’ils m’avaient fait venir jusque-là pour me dire ça.

— Oui, c’est vrai. Mais, vous deviez bien vous douter qu’il y avait autre chose, non ?

— À peine étais-je arrivée que Paul m’a demandé si la perspective de gagner de l’argent avec mes livres m’intéressait suffisamment pour céder à quelques concessions. Cette proposition était plus qu’alléchante, évidemment, mais j’ai voulu savoir dans quoi je m’engageais.

Bertrand hoche la tête, approbateur, et m’invite à poursuivre avec une avidité qui n’a d’égale que sa curiosité.

— Alors Paul n’y est pas allé par quatre chemins. Il m’a assuré qu’il était en mesure de me faire très largement vivre de mon travail si j’acceptais d’entrer dans un monde de secrets et d’anonymat. J’avoue que je n’ai pas bien compris au début. Mais tout ce mystère et l’idée de devenir vraiment écrivain m’ont véritablement séduite. J’ai dit oui sans hésiter.

— Et c’est comme ça que vous avez intégré la Société.

— En effet. Paul et Mina m’ont tout expliqué à ce sujet. Ils m’ont raconté comment je leur donnais l’occasion de réaliser un projet qu’ils avaient en tête depuis un moment. Ils m’ont surtout présenté un magnifique contrat.

— Sur un seul de vos livres ?

— Non, pas seulement, je corrige en mettant un frein à son enthousiasme. Je me suis aussi engagée à intégrer le réseau de la Société par le biais des Éditions de la Nuit Bleue et à fournir d’autres manuscrits du même acabit que celui que Paul et Mina s’offraient de publier.

— Et voilà comment vous êtes devenue auteure ! J’ai dévoré vos livres, soupire-t-il, aux anges. Mais pourquoi avoir choisi Émeraude comme pseudonyme ?

— C’est Paul qui a eu cette idée. Mon prénom est trop connoté pour ce genre de littérature. On aurait crié à l’opportunisme. Une Emmanuelle qui écrit des romans érotiques, ça paraissait trop facile. Et puis tout le monde m’appelle Émi depuis mon enfance, je détestais Manu… alors il a estimé que le vert de mes yeux s’accordait bien avec Émeraude.

— Il a raison, ça vous va bien.

La sonnerie stridente de sa minuterie l’interrompt brusquement. Bertrand quitte son fauteuil d’un bond pour me rincer la tête à grande eau. Cela ne l’empêche cependant pas de poursuivre son inlassable interrogatoire.

— Combien de romans avez-vous publiés en tout ?

— Quatre.

— Vous travaillez beaucoup !

— J’aime bien. Et puis, j’en ai besoin pour vivre correctement.

— La Société se montre toujours généreuse pour les membres de son réseau, rectifie-t-il en connaissance de cause.

Je manque de rire. Bien sûr qu’il sait de quoi il parle, mais je ne résiste pas au plaisir de le taquiner un peu.

— Tout dépend de ce qu’on appelle « correctement ».

Il glousse en me frictionnant le crâne. Nous nous sommes parfaitement compris.

***

Il est 16 heures tout juste quand les portes de l’ascenseur des éditions Peyriac se referment sur moi. Je jette un coup d’œil dans le grand miroir qui occupe le fond de la cabine. Bertrand m’a redonné fière allure. Ma tignasse est devenue une sage chevelure ondulée aux reflets d’or. J’ai accentué mon maquillage et j’ai choisi une robe courte et des talons hauts. Paul Peyriac n’aura rien à me reprocher de ce point de vue.

Septième étage !

Nous y sommes. J’ai les jambes cotonneuses et l’esprit préoccupé par ce rendez-vous impérieux auquel je ne m’attendais pas. Toute à mes pensées inquiètes, je sors en trombe de l’ascenseur. Je manque alors de tomber à la renverse en bousculant quelqu’un sur mon passage. Par chance, une main solide me préserve généreusement de l’humiliation d’une chute. Je relève piteusement le nez vers mon sauveur pour m’excuser et là, la surprise m’arrête tout net.

Bon sang !

Yann Le Breuil me tient le bras.

Il est encore plus sublime que sur la couverture de ses livres. Tout est fidèle au portrait : ses cheveux très bruns, à la coupe faussement désordonnée, un fin duvet de barbe qui ombre légèrement son magnifique visage aux traits volontaires, ses yeux noisette qui me dévisagent gaiement sous une bordée de longs cils noirs et ses lèvres pleines qui s’étirent à cet instant dans un sourire vaguement moqueur. Il n’a eu aucune difficulté à me rattraper, il a une carrure d’athlète et une poigne de fer. Il mesure presque une tête de plus que moi malgré mon mètre soixante-dix augmenté de mes dix centimètres de talons.

— Vous êtes-vous fait mal ? me demande-t-il.

Sa voix grave et un peu voilée me colle la chair de poule. Je me redresse aussi dignement que possible en récupérant ma liberté et je bredouille des remerciements confus.

— Non… merci. J’espère que vous non plus.

— Il m’en faudrait un peu plus.

Je me sens bêtement rougir sous le regard inquisiteur qu’il darde sur moi. Je ne sais quoi dire au juste pour me sortir de cette embarrassante situation. Je réitère de plates et maladroites excuses dont il n’a visiblement que faire.

— Ah, Émi, tu es là ! lance tout à coup la voix de Mina loin derrière moi.

Pour un peu, j’en pousserais un soupir de soulagement. Je m’empresse de me tourner dans sa direction. Mina est toujours aussi belle et souriante. Elle remonte le couloir d’un pas alerte, presque aussitôt suivie de plusieurs personnes parmi lesquelles Paul Peyriac ainsi que Philippe, son mari. Quant aux autres, j’ignore qui ils sont. Il y a deux hommes ainsi qu’une femme aux cheveux très courts, d’un blond platine surprenant. Mina vient m’embrasser comme toujours depuis que nous nous sommes liées d’amitié, puis elle avise ma victime à côté.

— Je ne pense pas que vous vous connaissiez, insinue-t-elle en nous adressant un de ses sourires qui désamorce n’importe quelle situation explosive.

Je n’ai pas le temps de répondre, Yann Le Breuil me prend de vitesse.

— Je n’ai pas cette chance.

Mes joues s’enflamment, je me sens stupide. Mina ne semble pas s’apercevoir de mon émoi ou, si c’est le cas, elle n’y accorde pas d’attention. Elle se charge des présentations avec son naturel habituel.

— Émi, je ne te ferai pas l’injure de te présenter Yann Le Breuil.

Je réprime une grimace.

Forcément !

Comment n’aurais-je pas reconnu l’auteur à succès que tout le monde s’arrache ?

Je dois avoir lu tous ses bouquins et sa bio s’étale sur chacun d’eux. Je sais qu’il a trente-deux ans, qu’il est originaire du Puy-de-Dôme, qu’il est un surdoué de l’écriture, mais qu’il a une fâcheuse tendance à la provocation. Les journalistes, les animateurs de télé, de radio, l’invitent tout en le redoutant. Il est du genre à balancer des vérités parfois très dérangeantes.

Bref, le perturbateur qu’on adore détester.

Enfin, depuis quelques minutes, je sais aussi à quel point, en vrai, il est encore plus beau et musclé qu’en image.

 

 
 

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8 réponses à “L’inspiration d’Emeraude … extrait.

  1. Eva

    16 juin 2013 at 11 h 19 min

    A reblogué ceci sur Mes Lectures et moi and commented:
    Septembre n’arrivera jamais assez vite !

     
    • Eva

      17 juin 2013 at 7 h 18 min

      oui, je vois très très bien

       
  2. bisounou

    16 juin 2013 at 21 h 21 min

    MERCI infiniment pour ce long extrait, je rentre déjà dans l’histoire.
    plus qu’à relire le tome 2 😉

     
  3. fall

    4 juillet 2013 at 19 h 37 min

    Je viens de devorer les 3 premiers tomes à la suite quel plaisir ! vivement septembre j’ai hâte de retrouver tous ces personnages

     
  4. Anaïs

    29 juillet 2013 at 23 h 59 min

    Merci pour cet extrait qui nous met l’eau à la bouche ! Je viens de decouvrir et de dévorer les 4 premiers tomes ! J’ai vraiment hâte de lire la suite !

     
  5. Jessica

    13 avril 2015 at 11 h 56 min

    cet extrait est juste hummmm …. J’ai hâte de savoir quand le livre sortira chez J’ai lu !!!!

    D’ailleurs c’est ma question… QUAND EST-CE QU’IL SERA DISPO CHEZ J’AI LU ?

     
    • angelabehelle

      13 avril 2015 at 12 h 04 min

      LE 17 JUIN !!!!!

       
      • jessica

        21 avril 2015 at 23 h 02 min

        Merci Angela ce sera la veille de mon anniversaire merciiiiii ! Je suis une grande fan

         

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